Amandine Verne, Ergothérapeute Libérale

Ergothérapie et Vision Canadienne

Ce texte a été écrit par une jeune Ergothérapeute Canadienne au cours de ses études.

\ »Ah, l\’Ergothérapie ! Ça fait maintenant trois ans et demi que j\’étudie l\’ergothérapie et pourtant, jusqu\’à dernièrement, définir ma profession me paraissait complexe. Qu’est-ce que l\’ergothérapie ? L\’ergothérapie, c\’est tout et rien. C\’est vrai ! On travaille avec des enfants, des adolescents, des adultes, des personnes âgées, des personnes qui ont un handicap physique ou intellectuel, des gens qui ont un trouble de santé mentale, un trouble du spectre de l\’autisme, une déficience visuelle, des gens en fauteuil roulant, des personnes qui ont des troubles articulaires, des individus qui ont de la douleur chronique, d’autres qui se blessent à la main, des personnes sans domicile fixe, des enfants prématurés, des enfants qui ont un trouble de développement, d’autres qui ont un déficit d\’attention, un trouble d\’acquisition de la coordination, une dysphasie, et même une dysphagie… c\’est comme si l’ergothérapeute travaillait avec n\’importe qui… n\’importe qui, qui a un problème et qui veut le régler. On travaille même en prévention, donc auprès de personnes qui n\’ont pas encore de problème et qui ne veulent pas en avoir… Mais c\’est quoi notre spécialité ?

Je pourrais vous dire qu\’on est les spécialistes de l\’occupation [Ergothérapie se traduit Occupational Therapy en Anglais], qu\’on a une approche centrée sur le client visant à favoriser son engagement dans des occupations signifiantes… que toute personne qui présente une déficience quelconque peut bénéficier de l\’aide d\’un ergothérapeute… mais probablement que je vous perdrais encore, et pourtant…

Je vais vous dire ce qu\’est l\’ergothérapie pour moi,simplement. Pensez quelques secondes à l\’activité qui vous est la plus chère. Pensez aux fonctions, aux capacités dont vous avez besoin pour faire cette activité : les mouvements que vous faites, la force dont vous avez besoin, les processus mentaux qui sous-tendent vos réflexions, vos actions, la préparation nécessaire… Ok, c\’est peut-être encore trop vague.

Prenons le jogging par exemple. Vous aimez faire du jogging (ou encore marcher). Pour faire du jogging, vous devez d\’abord le prévoir à votre horaire et avoir la motivation pour le faire. Vous devez aussi le faire, l\’initier. Vous devez préparer vos vêtements et, de préférence, les avoir préalablement lavés et séchés. Vous devez aussi avoir mangé, ce qui signifie que vous vous êtes préparé un repas et même que vous avez fait votre épicerie. Pour faire votre épicerie, vous avez probablement conduit ou encore pris les transports en commun. Vous avez aussi probablement fait une liste d’épicerie,que vous avez pensé d\’apporter avec vous (que vous n\’avez pas perdue) et vous avez acheté ce dont vous aviez besoin, en fonction de votre budget et des repas que vous aviez prévus pour la semaine. Et comme lorsque vous courrez, pour vous rendre à l\’épicerie, vous devez retenir le trajet qui vous y mène.

C\’est simple me direz-vous? Peut-être que ça l\’est pour vous. Mais imaginons-nous que vous faites une dépression. Comment trouverez-vous la force de vous lever, de faire votre épicerie, de faire votre lavage, vos repas et, en plus, d\’aller jogger? Et si vous aviez subi une amputation, comment feriez-vous simplement pour courir ? Et si vous commenciez à faire de l\’Alzheimer, comment feriez-vous pour ne pas vous perdre, pour préparer vos repas en toute sécurité, pour conduire votre voiture ou prendre les transports en commun ? Pourtant, vous y avez tout aussi droit que moi… et qu’est-ce qu’il y a de plus simple que d\’aller prendre une marche ou de courir?

C\’est ça l\’ergothérapie. L\’ergothérapie, c\’est à la fois simple et complexe. C\’est simple parce que l’ergothérapeute aborde le quotidien des gens. C\’est complexe parce que le fait de courir ou de ne pas courir ne repose pas uniquement sur le fait de mettre un pied devant l\’autre. Et le fait de courir ne signifie pas non plus de le faire sur deux jambes.

L\’ergothérapie, c\’est aider les gens qui, face à une perte (ou à quelque chose qu\’ils n\’ont jamais eu), doivent trouver de nouveaux moyens pour donner un sens à leur vie. Parce que perdre une jambe, perdre la mémoire, perdre la motivation, perdre la raison même, ça change une vie : ça ne la tue pas, mais il faut la réinventer. Et à mon sens, c\’est là que se trouve la spécialité de l\’ergothérapie : dans la signifiance. La signifiance est un terme ergothérapique qui désigne le sens donné à quelque chose, en l’occurrence aux occupations.

Parce que ce n\’est pas nécessairement l\’occupation en soit qui est vitale pour un individu, mais bien le sens qu\’il y accorde. La personne ayant subit une amputation ne pourra plus jamais marcher ni courir, mais comment peut-elle faire pour continuer de courir sans courir? Qu\’est-ce qui était important pour cette personne dans cette activité ? L\’idée de garder une bonne santé ? L\’idée de garder un corps bien ferme et svelte ? Celle de\ »prendre du soleil\ » ? Celle de courir avec son meilleur ami ou avec son chien ? Le sentiment d\’accomplissement, de réussite, le défi ou encore la compétition ? Peu importe la raison, comment cette raison peut-elle se concrétiser d\’une autre façon que par la course à pied ?

Alors l\’ergothérapeute apprend à connaître ses clients par leurs occupations, par la façon qu\’ils ont de les faire, par leur performance dans celles-ci et, surtout, par le sens accordé à ces occupations.Il essaie ensuite de répondre aux besoins de la personne d\’une autre façon, en modifiant les occupations, en fournissant des aides techniques, en améliorant les capacités de la personne,  en trouvant de l\’aide pour la personne, en adaptant l’environnement, etc., ou en guidant la personne dans la découverte de nouvelles occupations et de nouveaux objectifs personnels. Voilà pourquoi on se dit \ »spécialistes des occupations\ »: on utilise l\’occupation à la fois comme un moyen d\’évaluation, comme une intervention et comme un objectif.

Alors, la prochaine fois que vous verrez votre ami(e) ergothérapeute, dites-vous bien, d\’abord, que son travail ne se résume pas uniquement à la prescription de bancs de bains, mais aussi que simplement à vous regarder \ »vivre\ », il ou elle en connait déjà probablement beaucoup plus que vous ne le pensez sur vous. Parce qu\’être ergothérapeute, c\’est comme entrer dans une secte : on ne voit jamais plus les choses de la même façon qu\’avant : on reste toujours hantés par cette vision occupationnelle de la vie.\ »

Sara-Ève Déziel-Léveillée, étudiante en ergothérapie

Source image : http://bryan-cuttance.deviantart.com/

2 réflexions sur “Ergothérapie et Vision Canadienne”

  1. Bravo pour ce bel article. En tant qu’ergothérapeute, je comprends et je partage cette vision.

  2. MAIMOUN CELESTE

    Magnifique définition qui a tout son sens pour moi, ergothérapeute comme vous, mais qui n’aurait pas mieux dit ! Ce sont des exemples concrets et ça montre à quel point notre métier est beau et a du sens.

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